Vietnam, le pays des pagodes-prisons

En hommage à Vo Van Ai qui vient de nous quitter, un article que nous avions écrit ensemble en 2001 et que la Libre avait publié.

Vo Van Ai et Olivier Dupuis

La Libre, 2001

En soutenant le Vietnam, les pays occidentaux se font les complices d’un régime dictatorial qui pratique l’intolérance religieuse et enferme tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Tel Thich Huyen Quang, patriarche de l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam, détenu sans procès depuis 1982

Le 7 juin dernier, Thich Quang Do, deuxième dignitaire de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, interdite depuis 1981), voulait ramener le Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang (83 ans, détenu sans procès depuis 1982, officiellement «libéré» en 1997) à Saigon pour y être soigné.

Ce voyage purement humanitaire a tourné court avec la transformation de sa pagode en véritable prison, au prétexte de la «réactivation» subite d’une vieille condamnation de 1995 pour avoir tenté d’aider les victimes des inondations. «Réactivation» arbitraire car cette peine avait été amnistiée en 1998. Thich Quang Do est maintenant reclu dans sa chambre, transformée en véritable cellule de prison, sous la garde constante de deux policiers en civil, sans pouvoir en sortir, ni recevoir quiconque excepté le novice venu apporter ses repas encadré par les policers après une fouille systématique et minutieuse. Telle est la réalité du Vietnam d’aujourd’hui: une prison qui ne dit pas son nom et ne trompe, hélas, qu’une Europe par trop complice. C’est la raison de notre périple. D’un côté, le député européen parti rencontrer Thich Quang Do; de l’autre, le porte-parole de l’EBUV à l’étranger maintenant les contacts. Nous en avons rapporté le témoignage de l’emprisonnement de Thich Quang Do et des joies des interrogatoires fleuves et de l’expulsion manu militari: cinq ou six heures de questions, la langue de bois du Président du Comité populaire de Saigon, casquette de base-ball vissée sur la tête, puis cavalcade toutes sirènes hurlantes vers l’aéroport et embarquement d’urgence.

Tout cela dans un climat franchement inquiétant: dès fin mai, pluie de convocations des bouddhistes de l’EBUV pour les fameuses «séances de travail» (les interrogatoires, dans la rhétorique communiste) ou les séances de dénonciations publiques; encerclement de 115 pagodes; coupure des téléphones; isolation renforcée du Patriarche Thich Huyen Quang dans sa cellule cammouflée en pagode.

Malgré tout, la courageuse EBUV (70 bonzes de Hue, une dizaine de délégations de Quang Nam-Danang) tentera quand même de chercher le Patriarche malade. En vain. Le recours à des bandes de voyous et le déploiement des policiers préservera «l’ordre public»: les bonzes seront reconduits à leurs pagodes. Ainsi vont la répression et l’arbitraire au Vietnam.

L’intolérance religieuse, que nous avons tenté de combattre en manifestant pacifiquement devant la pagode-prison de Thich Quang Do et dans nos communiqués à une communauté internationale largement indifférente, n’est que la partie visible de l’iceberg dictatorial. Cette intolérance du régime vietnamien n’est qu’un aspect d’une intolérance générale contre la liberté, et finalement de sa politique d’oppression contre le peuple vietnamien.

Thich Quang Do, proposé pour le Prix Nobel de la Paix 2001, le vit tous les jours depuis un quart de siècle et son appel historique pour la démocratie au Vietnam en huit points, soutenu par plus de 300.000 Vietnamiens de la diaspora et par nombre de personnalités internationales, est la preuve qu’au-delà de la question de la liberté de religion, les religieux réalisent que cela ne peut plus durer et que la démocratie doit être mise à l’ordre du jour sans plus de retard.

Ce sont ces personnes, aussi lucides que déterminées, qu’il faut soutenir, non le régime antidémocratique et dictatorial que l’Occident encourage avec sa complaisance, ses capitaux, ses touristes aveugles à la souffrance humaine, quand ce n’est pas avec son savoir-faire (n’est-ce pas la France qui a aidé le Vietnam à verrouiller ses accès à internet?).

Ne laissons pas le Patriarche Thich Huyen Quang, malade et âgé, mourir dans l’indifférence, au milieu d’une foule de policiers. Ne laissons pas non plus Thich Quang Do repartir pour les prisons et les camps de rééducation qu’il ne connaît que trop bien. Et ne faisons plus croire aux dirigeants vietnamiens que leur stratégie dilatoire sortira le Vietnam de l’impasse du sous-développement et de la dictature.

(*) Respectivement Directeur du Bureau International d’Information bouddhiste et Secrétaire du Parti Radical Transnational

 

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