Radicali, 30 novembre 2017, VoxEurop, 18 décembre 2017
Les représentants des gouvernements des 27 Etats-membres ont, il y a quelques jours, décidé (à deux reprises en recourant au tirage au sort) de la localisation des sièges des Agences actuellement situées sur le territoire du Royaume-Uni (Agence européenne du Médicament et Autorité bancaire européenne). La procédure “extraordinaire” proposée par Donald Tusk, le président du Conseil européen, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, n’a pas de base juridique dans les Traités et devra par conséquent être formalisée au travers de deux propositions législatives que la Commission a déjà présenté au Conseil le 29 novembre, propositions qui prévoient une décision du seul Conseil en ce qui concerne la question du choix des sièges de ces deux Agences. Notons également dans ces propositions législatives qui fixent au 30 mars 2019 la date butoire pour le transfert des Agences, la volonté des promoteurs de cette procédure « extraordinaire » de fixer un point de non retour en ce qui concerne le Brexit.
Au-delà du recours surréel au « pile ou face » fustigé par Matteo Renzi, c’est le silence assourdissant du Parlement européen qui préoccupe le plus dans toute cette affaire. L’institution qui, avec le Conseil des ministres, a pourvu à la création de ces Agences et à la définition de leurs tâches, ne s’est pas encore exprimée sur la compatibilité avec les Traités de cette procédure voulue par MM. Tusk et Juncker ou, en d’autres mots, sur la légalité d’une procédure qui l’exclu de la décision concernant le choix des sièges des Agences.
Comme le rappellent divers experts en la matière dont Emilio De Capitani, Visiting Professor à la Queen Mary Law School de Londres, l’article 341 du Traité réserve aux gouvernements le choix des sièges des seules institutions européennes, la règle générale étant que le choix des sièges des autres organismes et agences non explicitement prévus par les Traités doit être fait par le même législateur que celui qui décide de leur création dans la mesure où le siège représente une condition indispensable au fonctionnement de ces organes. Il faut rappeler également que dans les rares cas où la création d’Agences est prévue par les Traités (EDA, EUROPOL, EUROJUST), leur création et la définition de leurs missions respectives sont décidées par le législateur européen, autrement dit par le Parlement européen en codécision avec le Conseil.
Selon les Traités, le choix des sièges des Agences est donc soumis à la procédure de codécision. Ce sont donc le Conseil et le Parlement européen qui ont, conjointement, la responsabilité et le devoir de prendre de façon transparente et démocratique la décision en ce qui concerne le transfert des Agences suite au processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (et à la condition que ce processus aboutisse à une sortie effective du Royaume-Uni).
Que la Commission ait maintenant soumis au Parlement européen deux propositions législatives en procédure de codécision n’est rien d’autre qu’un pure stratagème juridique. Ces propositions sont en flagrante contradiction tant avec l’esprit que la lettre des Traités. Ceux-ci sont en effet très clairs. Dans la procédure de codécision (article 294), la Commission soumet sa proposition tant au Parlement qu’au Conseil. C’est le Parlement européen qui se prononce en premier lieu et qui transmet sa décision au Conseil. En outre, si comme le prévoit la procédure de codécision, le Conseil doit décider à la majorité qualifiée (55% des membres du Conseil représentant au moins 65% de la population), il est mathématiquement impossible de se retrouver dans une situation d’égalité des votes (match nul) comme cela a eu lieu à deux reprises durant les votes du Conseil lors du choix du siège des deux agences.
Si la procédure Tusk/Juncker n’était pas contestée par le Parlement européen, non seulement une exception risquerait d’être transformée en règle et ce pour toutes les questions qui concernent les Agences et autres organismes de droit secondaire dans l’Union mais c’est la procédure même de la codécision qui serait gravement affaiblie.
Alors que la Commission a déjà rendu publiques les propositions législatives de mise en oeuvre de ces décisions, les paladins des droits et des prérogatives du Parlement européen sauront ils se mobiliser pour que le Parlement européen présente un recours en annulation devant la Cour européenne de Justice de Luxembourg ?
Au-delà de ces violations évidentes de la légalité européenne, un problème central pour le futur de l’Union européenne se pose : celui du dépassement du mode de fonctionnement du Conseil qui évoque aujourd’hui celui en usage chez les « marchands de tapis ». Une réforme du Conseil (des ministres) ne peut plus être renvoyée à des jours meilleurs. Les conditions d’une gouvernance digne de ce nom de cette institution doivent être créées au travers de sa transformation en une institution au plein sens du terme : un véritable Sénat européen.