Si ce n’était une tragédie, l’Ukraine serait une bénédiction pour l’Union européenne

Historians in Ukraine, 15 mai 2015, InformNapalm (fr), 15 mai 2015, CRCUF, 22 mai 2015, Euromaidan Press, 23 mai 2015, European Sotnia, 30 mai 2015

Andriy Portnov. Comment expliqueriez-vous que l’Ouest en général est aussi effrayé de reconnaître la vérité en ce qui concerne l’agression russe en Ukraine et, élément plus important encore, de répondre à cette agression ?

Olivier Dupuis. L’Europe est bien sûr tétanisée face aux changements charriés par la révolution technologique et par l’accélération de la mondialisation. Mais, bien plus encore, elle reste incapable de se percevoir comme telle, comme une communauté, plurielle certes, mais communauté forte d’intérêts et de destin. Dans une bonne partie des classes dirigeantes nationales européennes persiste l’idée délétère d’une Europe fonctionnelle, utile en première et dernière instances, à des projets nationaux irréductibles. Cette approche funeste continue à opposer deux niveaux d’intérêts, le national et l’européen, alors que le projet européen a précisément pour objectif de les articuler. Cette occultation de la nature de la construction européenne, confortée par une volonté persistante des Etats de confiner les citoyens à la marge de la vie politique européenne, participe pour beaucoup à la désaffection, voire au rejet du projet européen, et au repli des citoyens sur leur pré carré national, avec toutes les illusions que cela comporte.

Près de soixante-dix ans après le lancement du projet d’intégration européenne, les Etats membres de l’UE rechignent toujours devant la nécessité de comprendre quels sont, au delà de leurs intérêts nationaux respectifs, les intérêts de l’Union en tant que telle, en tant qu’un tout. Plus grave, et en dépit d’avancées importantes (dont le Traité de l’Union et la monnaie unique par exemple), cette nécessité est moins perçue aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a vingt ans. En cause, notamment, la disparition d’un leadership politique européen et, en premier lieu, du leadership franco-allemand. Gerhard Schröder et, en continuité avec lui, Angela Merkel sont des incarnations de cette mutation où l’on a vu une Allemagne qui était auparavant profondément attachée au processus d’intégration européenne devenir une Allemagne nationale-mercantiliste. Mais si l’étrangeté historique et « culturelle » de l’actuelle chancelière à l’égard du processus d’intégration européenne a sans aucun doute contribué pour beaucoup à ce tournant, on ne soulignera jamais assez le rôle joué par les fins de non recevoir opposés par la France aux propositions allemandes de renforcement de l’intégration politique européenne, en particulier les propositions Schaüble-Lammers en 1994 et Fischer en 2000. Ces silences français résument cette incapacité persistante à rompre avec le mythe d’une « Europe française », version revisitée d’une politique de puissance non totalement dénuée de vieux penchants impériaux.

Ajoutons les effets infantilisants des 80 ans passés par les pays européens dans le cocon stratégique américain dans les plis duquel s’est installée la mythologie du soft power et nous cernons alors mieux pourquoi l’Europe s’ingénie à ne pas vouloir reconnaître l’Ukraine comme partie intégrante de l’Europe et pourquoi elle hésite à reconnaître dans l’agression et le refus russes de laisser une Ukraine souveraine assumer son destin une menace à sa propre sécurité.

A. Portnov. Est-il raisonnable de parler de l’Ouest en tant qu’entité alors qu’il est profondément divisé ?

O. Dupuis. Plus qu’entre les Etats-Unis et l’Europe, il existe une certaine communauté de vue entre Barack Obama, Angela Merkel et François Hollande. On pourrait l’appeler la communauté des post-modernes, incrédules d’abord, tétanisés ensuite, face à l’affirmation au grand jour de la nature profonde de l’actuel régime russe, antithèse revue et corrigée de l’Etat de Droit, version revisitée de l’impérialisme grand russe et soviétique.

Mais, au delà de cette convergence, il existe de fortes divergences. Au sein de l’UE où trois groupes d’Etats-membres s’affrontent à fleurets mouchetés. Le groupe de ceux qui, au nom d’intérêts nationaux (et de situations économiques difficiles), d’une certaine communauté de vues ou d’une certaine légèreté politique ne veulent pas prendre la mesure de la gravité de ce qui se joue en Ukraine et, au delà, de ce qui s’y joue pour l’avenir du continent. Ce groupe comprend notamment l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, la Grèce, Chypre, la Slovaquie et la République tchèque. A l’opposé, nous avons un groupe d’Etats qui, de par leur histoire, leur géographie et/ou leur culture politique perçoivent beaucoup plus clairement ce qui est en jeu. Ce groupe comprend la Pologne, la Grande-Bretagne, la Suède, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et, dans une certaine mesure, la Roumanie et la Bulgarie. Entre ces deux groupes de pays nous avons tous les autres, emmenés par l’Allemagne et la France, où prédomine, pour des raisons diverses, la peur de tirer toutes les conséquences de ce qui se joue en Ukraine.

Mais deux différences de fond séparent également l’Europe des Etats-Unis ou, dans une certaine mesure, l’Europe continentale du monde anglo-saxon. La première qui procède d’une lecture certainement hérétique, est qu’il existe, aujourd’hui encore, un certain terreau culturel commun entre le monde russe post-soviétique et l’Europe. Cette communauté a de vieilles racines qui remontent à ce qui a constitué, selon moi, une rupture fondamentale dans l’histoire européenne : le remplacement en Russie et l’édulcoration ou la relativisation en Europe continentale de la culture de la règle et de la responsabilité personnelle, fondement de l’Etat de Droit et de la civilisation libérale. Il s’agit bien là d’une rupture dans l’histoire longue si l’on considère, avec Marcel Gauchet, que c’est sur les bases du christianisme qu’émergent à partir de l’an mille et très progressivement l’Etat de Droit et la civilisation libérale sur le continent européen. Cette rupture est née de l’avènement du marxisme, d’une culture politique où l’économie et l’appareil étatique sont déifiés et où l’Etat de Droit est relégué au domaine de la super-structure. Si les effets de cette rupture seront radicaux là où il y aura synthèse entre le marxisme et la doctrine léniniste de conquête du pouvoir, les effets de la seule doctrine marxiste n’en seront pas moins considérables ailleurs, en Europe continentale notamment (mais pas aux Etats-Unis), engendrant une forme de relativisme qui perdure aujourd’hui encore quant à la centralité dans notre civilisation de l’Etat de droit et de la responsabilité individuelle.

L’autre différence de fond renvoie à l’image de soi : l’assomption par les citoyens des Etats-Unis de ce qu’ils sont et l’interminable valse-hésitation des Européens, en particulier des citoyens des grands pays, entre ce qu’ils furent et voudraient être encore par et grâce à leurs nations respectives et ce qu’ils pourraient être au niveau européen et qu’ils ne sont pas (encore).

A. Portnov. Que suggéreriez-vous à l’UE de faire maintenant ? Selon moi, il n’y a pas de stratégie claire de l’UE à l’égard de l’Ukraine et à l’égard de l’Europe post-soviétique en général. Quels seraient les éléments qui seraient cruciaux pour une telle stratégie ?

O. Dupuis. L’élément crucial, parce qu’il aurait une portée déterminante sur l’ensemble des décisions à prendre, serait que l’Union réalise cette révolution mentale qui la mette dans les conditions de se penser comme un tout. De ce point de vue, on peut dire que si elle n’était une tragédie, avec ses milliers de morts, ses dizaines de milliers de blessés, son million de personnes déplacées et ses énormes destructions matérielles, la question ukrainienne serait une bénédiction pour l’Union européenne car, à moins que cette dernière n’opte pour le suicide, elle sera finalement obligée, face à l’agression de la Russie et aux politiques menées par cette dernière, de prendre des décisions politiques qu’elle s’est évertuée à ne pas prendre pendant des décennies.

Et, en dépit de l’urgence d’avancer sur le terrain de l’intégration économique et budgétaire, c’est avant tout dans le domaine de la défense et des relations de l’Europe avec le reste du monde que se joue son avenir. Nul besoin pour cela d’en appeler à un grand saut fédéral, à des Etats-Unis d’Europe. Au contraire, ces incantations sont souvent sources de confusion. Le processus d’intégration européenne est, pour une bonne part, sui generis. C’est une fédération d’Etats-nation et de citoyens. Pour assumer pleinement cette légitimité duale, la réforme prioritaire, aussi paradoxale que cela puisse paraître, devrait être la politisation de l’institution où sont représentés les Etats. Le Conseil devrait être radicalement dé-diplomatisé et devenir une institution à temps plein, un véritable sénat des Etats-membres, lieu de débats et de choix publics entre des femmes et des hommes politiques et non plus l’enceinte d’échanges feutrés entre excellences.

Par ailleurs, l’indispensable et importante aide économique et de soutien aux réformes que l’Europe se doit de fournir à l’Ukraine est tout sauf antinomique avec la nécessité d’affronter de toute urgence la question de la défense de l’Europe par l’Europe. Les Européens doivent se donner un instrument qui les oblige à assumer leurs responsabilités stratégiques : une armée européenne commune aux Etats qui le souhaiteraient et qui seraient prêts à reconnaître les réelles menaces à la sécurité européenne. Il ne s’agit pas là seulement d’une nécessité en termes de sécurité, c’est aussi une obligation impérieuse tant pour préserver la cohésion de l’Union que pour donner à l’Europe conscience d’elle-même.

En plus d’une aide économique et financière massive, la première chose à faire, de loin la plus importante, c’est d’affirmer sans ambage que l’Ukraine a vocation à devenir membre à part entière de l’Union. Devraient en découler, dans l’immédiat, une conclusion rapide du processus de ratification du Traité d’Association UE/Ukraine, une libéralisation du régime des visas et, surtout, une ouverture formelle du processus d’adhésion, seul instrument en mesure de fournir un cadre et un calendrier qui puissent garantir la mise en œuvre des réformes aussi difficiles qu’indispensables à l’enracinement de l’Etat de droit.

Parallèlement, l’UE devrait lier explicitement sa politique de sanctions aux violations du droit international par la Russie. En ce sens, l’instauration, comme le propose le Prof. De Grauwe, de taxes sur le gaz, le pétrole et le charbon russes liées à l’annexion de la Crimée et à l’occupation du Donbass est d’autant plus pertinente qu’elle permet également de reporter les coûts des réformes et de la reconstruction sur l’agresseur.

Enfin, alors que la Russie continue à faire affluer armes et combattants dans le Donbass et qu’il y a de fortes raisons de craindre qu’elle lance une nouvelle offensive, le refus persistant de l’Occident de fournir des armements défensifs n’est plus tenable. L’Ukraine doit pouvoir acquérir les armements qu’elle considère nécessaires à sa défense. Dans la foulée, l’Europe et les Etats-Unis devraient établir un embargo total sur les ventes d’armements et de technologies duales à la Russie.

A. Portnov. Comme nous le savons, l’UE est effrayée ne fut-ce qu’à l’évocation de la question des perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Il semble aussi qu’il n’y a pas de place pour l’Ukraine dans les structures actuelles de l’UE. Cela signifie-t-il que l’Union devrait se réformer elle-même ? Ou l’Ukraine doit-elle accepter la perspective d’une existence dans un entre-deux entre l’Union d’une part, la Russie agressive d’autre part ?

O. Dupuis. L’Europe a, avant tout, peur d’elle même. Pour dépasser cette peur, la réforme dont elle a le plus besoin est d’ordre essentiellement mental. Dans la ligne des réflexions d’Amin Maalouf sur les identités meurtrières, l’Europe doit reconnaître que son projet fondé sur cette double appartenance, nationale et européenne, est un atout énorme, y compris en ce qu’il constitue la meilleure garantie de préservation des identités nationales. Une telle approche n’est malheureusement pas dans l’intérêt de tout le monde : d’énormes forces de conservation sont à l’oeuvre, notamment dans le secteur bancaire toujours largement national, les industries de l’armement devenues souvent de véritables Etats dans l’Etat, des corps diplomatiques dotés d’une redoutable force d’inertie au changement, des classes politiques et journalistiques empruntes de provincialisme.

D’un point de vue concret, nul besoin de passer par une nouvelle révolution copernicienne. Les modifications au Traité introduites lors de la dernière réforme institutionnelle (Lisbonne, 2007) permettent beaucoup de choses. Le traité renforce les possibilités données aux Etats qui le souhaitent d’approfondir leur intégration dans tous les domaines, y compris dans les domaines de la politique étrangère et de la défense grâce aux coopérations renforcées et aux coopérations structurées permanentes. En outre, la généralisation du vote à la double majorité (majorité des Etats, majorité de la population), une mesure apparemment technique, constitue à mes yeux une des principales clés permettant à une Europe à 30 ou 35 Etats, y compris bien entendu l’Ukraine, de fonctionner sans que l’un ou l’autre des Etats ne se sente menacé de « dilution ».

Du point de vue de la préhension des citoyens européens sur l’objet Europe, des innovations seraient certes souhaitables – comme, par exemple, l’élection au suffrage universel du président de la Commission, le vote au scrutin majoritaire à un tour des députés européens afin d’établir un lien direct entre les électeurs et leurs élus, l’établissement d’une télévision et d’une radio européennes communes – mais elles ne constituent en aucune manière, à mes yeux, une condition à l’ouverture du processus d’adhésion de l’Ukraine.

Plus urgente et importante est la question de la viabilité d’une Europe à 28 où certains Etats, comme la Grande-Bretagne, ne sont pas prêts à mettre en commun une partie de leur politique extérieure et de défense, tandis que d’autres, comme la Grèce, la Hongrie et Chypre, manifestent une propension certaine pour une politique de compréhension et de collaboration avec le régime russe actuel. A cet égard la politique du wait and see des autres Etats-membres n’est pas une option. Elle nourrit les ressentiments des euro-sceptiques, favorise les tendances centrifuges, mine la cohésion de l’ensemble et bloque toute avancée dans les domaines cruciaux que sont les politiques de la défense et des affaires étrangères. Le moment est venu de prendre acte des différences de volonté et de projet des différents Etats-membres et d’institutionnaliser une Europe à deux étages.

La question ukrainienne résume à elle seule les grandes questions existentielles de l’Europe d’aujourd’hui : son projet, sa sécurité, sa place et son rôle dans le monde. L’Ukraine est Europe parce qu’elle l’est, incontestablement. Mais elle est aussi Europe parce qu’elle se veut Europe dans ce que le projet européen a de meilleur, l’Etat de droit comme socle de vie en commun pour des citoyens aux histoires à la fois diverses et communes. Il n’existe donc aucun espace pour un entre-deux. Soit l’Ukraine s’intègre et est intégrée dans ce projet, soit elle est condamnée pour de nombreuses années au projet néo-impérial et anti-thétique de l’Etat de Droit voulu par Moscou, avec tout ce que cela comporte en termes de violence et d’oppression. Tertium non datur.

A. Portnov. Pourquoi l’Ukraine est-elle aussi importante pour le futur de l’UE ? Et comment cela peut être combiné avec les intérêts de l’UE à l’égard de la Russie ?

O. Dupuis. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. L’Europe doit cesser de cultiver des illusions et comprendre que la meilleure façon de créer les bases d’une relation forte avec la Russie passe, à court terme et sans doute à moyen terme, par le renoncement au développement de fortes relations économiques avec la Russie. C’est évidemment une décision désagréable dans la mesure où il s’agit d’un marché de 140 millions de personnes, même si, en raison de la grave crise économique que connait aujourd’hui la Russie, il faut aussi relativiser le poids de cette décision.

Avec Adam Michnik, l’Europe doit comprendre que « la grande chance de la Russie, c’est la réussite du processus de démocratisation de l’Ukraine » 1 et mettre tout en œuvre pour que ce processus réussisse.

A. Portnov. Comment voyez-vous le rôle des Etats-Unis ? D’ors-et-déjà certains Etats membre de l’UE et de l’Otan tels que l’Estonie, la Lettonie et la Pologne attendent un soutien militaire potentiel plus de la part des Etats-Unis que de leurs voisins d’Europe de l’Ouest. Cela pourrait-il signifier un retour pesant des Etats-Unis dans l’espace politique européen ?

O. Dupuis. Je suis de ceux qui n’ont jamais cru à cette idée selon laquelle les Américains pesaient de tout leur poids dans la politique européenne. Certes, sur certaines questions, dont en premier lieu la question de la défense, ils ont, durant toute la guerre froide, pesé énormément. Mais c’était aussi la conséquence logique de l’incapacité de l’Europe et de son absence de volonté d’assumer ses responsabilités en ce domaine. D’un point de vue politique et diplomatique, ils ont ponctuellement pesé, lorsque la situation intérieure d’un pays d’Europe occidentale présentait des risques de déstabilisation. D’un point de vue économique, ils ont bien sûr soutenu leurs entreprises. Mais quel pays ne soutient pas, d’une façon ou d’une autre, ses entreprises à l’étranger ?

Dans un contexte où la plupart des Etats membres de l’UE et, en premier lieu, les grands pays (Allemagne, France, Italie, Espagne) peinent toujours à prendre la mesure de la menace que représente le régime russe actuel et, parallèlement, continuent de refuser une européanisation de la question de leur défense collective, il me semble assez naturel et légitime que certains Etats particulièrement menacés, s’en remettent aux Etats-Unis.

Mais si dans la situation de grave faiblesse militaire dans laquelle se trouve l’Europe aujourd’hui, une forte présence militaire américaine est indispensable, elle ne peut exonérer l’Union européenne de prendre, finalement, une initiative décisive en matière de politique de défense et de sécurité. Il n’est pas sain non plus de l’évacuer au motif qu’il s’agirait d’une question que les Allemands et les Français devraient d’abord résoudre entre eux. Les Polonais, les Baltes, les Roumains, ont également l’obligation et le droit de penser la sécurité de l’Europe en termes européens.

Ceci dit, il est sûr qu’une telle initiative ne pourrait rassembler les 28 Etats membres. La Grande-Bretagne n’est officiellement pas preneuse. Les Etats neutres (Suède, Finlande, Autriche, Irlande, …) ne sont manifestement pas encore prêts pour une telle démarche. D’autres Etats, en raison des prises de position de leur gouvernement actuel, n’y ont certainement pas leur place pour le moment. D’autres Etats devront clarifier leur position vis-à-vis de la Russie. Je pense à l’Italie dont le premier ministre semble penser qu’il peut s’en tirer par des pirouettes du style « cher Poutine, laissons de côté l’Ukraine sur laquelle nous avons des positions différentes, et voyons comment relancer les relations Europe-Russie ».

A. Portnov. Revenons au Maidan ukrainien. Qu’est-ce qui vous a surpris le plus ? Et comment définiriez-vous Maidan, comme phénomène politique et social ?

O. Dupuis. Maidan a la couleur des grandes révolutions libérales du 19ième siècle qui furent souvent la conjugaison de deux aspirations fortes : une aspiration libérale en faveur de l’instauration d’un Etat de Droit et une aspiration nationale à la décolonisation. Mais Maidan a aussi une couleur nouvelle, celle du premier mouvement de dé-soviétisation et de dé-post-soviétisation dans un grand pays ayant connu, à l’exception de sa partie occidentale, 70 ans de régime soviétique, avec des « épisodes » particulièrement tragiques : l’Holodomor, la seconde guerre mondiale.

L’importance du succès ou de la défaite de ce mouvement va donc bien au-delà de l’Ukraine seule. Car il s’agit aussi d’une expérimentation qui pourrait, si elle réussit, devenir un modèle concret pour une dé-bolchévisation, demain, de la Russie et de la Chine, … deux pays, deux puissances qui, n’en déplaise à ceux qui estiment que le développement économique apportera, immanquablement, l’établissement de l’Etat de droit et de la démocratie, constituent des exemples de la prégnance du modèle marxiste-léniniste et, par là, des menaces à la sécurité des démocraties.

A. Portnov. Peut-être pourriez-vous donner un conseil sur comment faire en sorte que la « vieille » Europe réalise que la guerre en cours en Ukraine est une question qui concerne directement l’Europe et son avenir ?

O. Dupuis. Penser européen. Sortir du double carcan intellectuel de l’Europe-absence et de l’Europe-puissance, sous-entendu, libérée de la tutelle américaine. La guerre en Ukraine doit amener les Européens à réaliser que l’Europe doit prendre conscience d’elle-même et créer les conditions pour pouvoir défendre ses valeurs, ses citoyens, son et ses territoires. Ce que l’on pourrait appeler l’Europe-décence.

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Notes:

  1. « Ukraine is Putin’s Afghanistan », Euromaidan, March 28, 2015

3 thoughts on “Si ce n’était une tragédie, l’Ukraine serait une bénédiction pour l’Union européenne

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  2. Quel plaisir de lire des idées justes si bien exposées.Quelle aide pour la compréhension de la situation géopolitique actuelle. Grand merci à l’auteur!

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