Le HuffingtonPost, 12 octobre 2012, Libertiamo, 13 octobre 2012
Voilà une nouvelle qui ne réjouira pas grand monde, sinon sans aucun doute le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, le Président du Parlement Martin Schulz, « profondément ému et honoré », le Président de la Banque Centrale Mario Draghi, le Président de l’Ecofin Jean-Claude Juncker, le Président de la présidence tournante, … qui seront sans doute invités à Oslo, à la cérémonie solennelle de remise du prix. La liste n’est pas exhaustive.
Bien sûr l’Union européenne a favorisé le développement des coopérations et des interdépendances en lieu et place des guerres civiles qui ont ravagé le continent en 1870, 1914 et 1939. Elle a aussi, bon gré malgré, accompagné la transition vers la démocratie des anciennes dictatures communistes d’Europe centrale. L’Union c’est aussi l’ouverture des frontières (intérieures), les voyages sans passeport, Erasmus, une prospérité certaine qui résiste tant bien que mal à la crise actuelle. C’est « depuis six décennies la promotion de la paix » certes, mais bien abritée derrière les Etats-Unis et l’Otan.
Mais l’Europe « nobelisée » c’est aussi celle qui a laissé crever Sarajevo, Osijek, Vukovar, Srebrenica, celle qui n’a pas bougé lors du génocide rwandais ou lors des deux guerres russo-tchétchènes. C’est l’Europe qui s’est résignée à la potemkinisation de la démocratie chez son grand voisin russe. C’est aussi elle qui, se parant des atours d’une intransigeante vertu, abandonne l’Ukraine à une lente dérive vers un Etat de non-droit. C’est celle qui a été incapable de relever le défis turc, d’appeler la Macédoine Macédoine, de voir l’Europe à Chisinau ou à Tbilisi. C’est aussi l’Europe sans moyens et donc sans volonté politique possible face à la tragédie syrienne. C’est l’Europe du « chaque Etat-membre » pour soi face à la nouvelle puissance émergente chinoise, aveugle à la réalité d’un Etat où le pouvoir se conjugue toujours avec le mode totalitaire et impérialiste.
Bien sûr le Comité Nobel nous a habitués aux lauréats sans éclat. Par pudeur, on les taira ici. Mais il y en a quelques-uns dont l’annonce a résonné dans le monde entier. Des choix, ceux-là, qui ont accompagné à travers la reconnaissance du combat d’une personne, le combat et l’espoir de millions d’autres pour la liberté et la démocratie, véritable substance de la paix. Martin Luther King Jr., Andrei Sakharov, Lech Walesa, le Dalai lama, Aung Sang Su Chi ou Liu Xiaobo (toujours embastillé) et quelques-uns avant eux ont donné au Nobel ses lettres de noblesse. Ils ont été ces millésimes rares, où le choix du Comité Nobel redonne espoir à des millions d’opprimés et enrage les puissants qui les écrasent.
Gandhi a été nominé trois fois. Jamais primé. Lui a été nominé treize fois. En 1978 et, sans interruption, depuis 2000. Il s’appelle Thich Quang Do. Il vit dans un pays pour lequel nous n’avons visiblement pas encore réussi à faire la paix avec nous mêmes. Prisonniers d’un passé colonial puis « anti-impérialiste » où après avoir défilé en masse et crié à en perdre la voix « Yankee go home », les Européens ont abandonné le peuple vietnamien à son nouveau sort : la dictature du prolétariat et ses exécutions, ses camps de concentration, ses prisons, ses séances de rééducation et sa culture du mensonge.
Le Vénérable Thich Quang Do est né le 27 novembre 1928 à Thai Binh (Vietnam du Nord). Il est le patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée. Une église interdite parce qu’elle a toujours refusé de rejoindre l’Eglise Bouddhiste officielle créée par le pouvoir communiste dans son délire grotesque et violent d’assoir son emprise non seulement sur les corps et les esprits mais aussi sur les âmes. Il a été arrêté la première fois le 21août 1963. Emprisonné et torturé, il a été libéré en novembre 1963 après la chute du gouvernement du catholique Ngo Dinh Diem. Arrêté à nouveau le 6 avril 1977, après la prise du pouvoir par les communistes, il a été emprisonné à Pham Dang Luu (Saigon). En isolement pendant 20 mois (dans une cellule de 90 x 190 cm), il a été jugé le 10 décembre 1978 et libéré le même jour. Arrêté une nouvelle fois le 25 février 1982, il a été condamné (sans procès) à la déportation intérieure durant dix ans dans le village de Vu Doai (province de Thai Binh, Vietnam du Nord). Encore arrêté le 4 janvier 1995, il a été inculpé d’avoir « provoqué des troubles » 1 et condamné le 15 août 1995 par la Cour Suprême Populaire de Saigon à 5 ans de prison et à 5 ans d’assignation à résidence et incarcéré dans le Camp de Rééducation de Ba Sao (Province de Nam Ha, Vietnam du Nord) puis dans la prison B14 près de Hanoi. Transféré à Saigon le 2 septembre 1998, il a été placé en résidence surveillée au Monastère de Zen Thanh Minh. Alors que sa condamnation a pris fin en janvier 2005, il est toujours aujourd’hui en résidence surveillée.
Il ne faut s’y tromper. Ce moine bouddhiste, à la tête de la seule organisation vietnamienne libre en dépit des tentatives innombrables et violentes du parti communiste pour l’acheter, n’est pas seulement un leader spirituel respecté. C’est une personnalité politique qui n’a jamais cessé son combat pour l’instauration de la démocratie et l’état de droit au Vietnam. C’est aussi un patriote dont les prises de position sur la question de l’invasion et de l’occupation des îles Paracels par la République Populaire de Chine en 1974, tétanisent une hiérarchie communiste vietnamienne que le passé et le présent ont rendu totalement otage de Pékin.
Rendez-vous l’année prochaine. Même jour. Même heure.
Notes:
- pour « sabotage de la politique de solidarité religieuse » et pour avoir « profité des droits de la liberté et de la démocratie pour porter atteinte aux intérêts de l’Etat » après avoir organisé une mission d’aide humanitaire en faveur des victimes d’inondations. ↩
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