Crise de la zone euro : ne pas se tromper de cible !

Libertiamo.it, le 21 janvier 2012

Si ce 16° sommet historique a débouché sur la décision de réunir une Conférence Intergouvernementale 1 chargée de rédiger à marche forcée un projet de traité, il n’a, pas plus que les 15 précédents, convaincu les marchés. Parmi les Etats qui avaient donné leur accord de principe à l’issue du sommet, les premières réserves n’ont pas tardé à fuser à Stockholm, Prague, Varsovie … En prime, ce nouvel accord a été obtenu au prix d’une mise à l’écart des Britanniques qui ne sont pas membres de la zone euro. Beau résultat !

Comment l’Europe a-t-telle pu en arriver là ? D’un côté, en raison d’une opposition irréductible quant à la lecture de la nature de la crise. Pour les uns, il s’agit d’une crise conjoncturelle que l’on pourrait dépasser grâce, certes, à une gestion plus rigoureuse des finances publiques mais, surtout, grâce à une mutualisation sans condition de la dette. Pour d’autres, la crise est beaucoup plus profonde 2. Elle est structurelle. Elle est aussi le reflet d’un monde en profonde mutation qui voit l’émergence de nouveaux acteurs économiques de tout premier ordre avec lesquels l’Europe doit désormais se mesurer directement. Des pays qui connaissent des taux de croissance vertigineux et vers lesquels les capitaux semblent irrésistiblement entraînés, délaissant par la même occasion un continent européen anémique. C’est là, bien avant toute considération électorale, que réside l’une des deux faces de l’opposition irréductible entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, la chancelière exprimant – souvent très mal – la nécessité d’un aggiornamento structurel de l’Union et de ses Etats membres, indispensable pour adapter l’Europe à ce déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale.

Mais il existe une autre raison fondamentale qui permet de comprendre ce tête-à-tête stérile. Il s’agit d’une opposition plus feutrée mais tout aussi irréductible, sur la méthode. Une opposition qui renvoie directement à des visions diamétralement divergentes de l’intégration européenne.

D’un côté, le président Sarkozy qui associe à une solide aversion pour les bureaucraties en général et les corps constitués en particulier, une vision post-gaulliste plus traditionnelle qui ne voit dans l’intégration européenne qu’un instrument désormais – et malheureusement – indispensable pour permettre à la France de tenir son rang. L’une et l’autre, l’une avec l’autre se manifestent par un mépris sans fard à l’égard des institutions « communautaires », en tête desquelles la Commission. Pour l’actuel président français, « le fait que la responsabilité de la gouvernance revienne désormais aux chefs d’Etat et de gouvernement marque un progrès démocratique incontestable (sic) par rapport à la situation précédente, où tout s’organisait autour de la Banque centrale européenne (BCE), de la Commission et du pacte de stabilité. » 3

De l’autre, Angela Merkel et sa question sans détour. Pourquoi les Allemands devraient-il accepter, sans condition, une mutualisation des dettes publiques des Etats-membres de la zone euro et voir, par la même occasion, les taux d’intérêts de leur propre dette publique relevés significativement ? En d’autres mots, pourquoi devraient-ils accepter l’introduction des obligations européennes (eurobonds) qui ne leur apporterait, en l’état, aucune garantie quant à la mise en œuvre des indispensables réformes par les Etats défaillants ? Et sa réponse : il faut obliger tous les Etats membres de l’Union à réaliser des réformes structurelles pour leur permettre de s’adapter à la profonde mutation mondiale en cours. Comment ? En gravant dans le marbre des traités la fameuse règle d’or dont on voit mal pourtant comment elle pourrait aider les pays les plus en difficulté à réduire le spread mortifère qui plombe leurs dettes publiques et donc leur déficit public. Règle d’or dont on voit très bien les conséquences délétères sur le fonctionnement démocratique des Etats membres avec des parlements nationaux dépossédés de leurs prérogatives budgétaires et des gouvernements privés d’une part substantielle de leurs capacité d’action en période de basse conjoncture.

L’équation somme toute classique en période de crise structurelle : un cocktail fait de réduction des dépenses, de containment des salaires, d’augmentation des recettes d’une part, de préservation des capacités d’investissement, ne peut fonctionner que si les Etats en difficulté ne sont pas étranglés par la charge de la dette. Ce n’est malheureusement pas le cas. Pour de nombreux pays de l’Union, à commencer par la Grèce, la seule charge de la dette est telle qu’elle ne permet pas d’entrevoir un possible redressement à des coûts sociaux acceptables.

La question centrale demeure donc celle de concevoir un mécanisme européen qui permette de concilier une double exigence : d’une part la mise en œuvre de réformes structurelles par les Etats membres en difficulté et d’autre part l’accès pour ceux-ci à des emprunts à taux « normaux » et la conversion progressive de leurs dettes publiques en dettes à des taux « allemands ». L’instauration d’un mécanisme d’octroi d’obligations européennes (eurobonds) conditionné à la réalisation effective de réformes structurelles pourrait concilier ces deux exigences. Il s’agirait donc de créer un instrument beaucoup plus incisif qu’un simple bouclier 4, en transformant l’actuel Mécanisme Européen de Solidarité (MES) en véritable Fonds Monétaire Européen en mesure d’octroyer de nouveaux crédits et de transformer progressivement d’anciennes dettes.

Il est par ailleurs possible d’inscrire ce mécanisme au cœur des institutions européennes. Pourtant la possibilité de recourir à l’article 20 du traité de Lisbonne sur les coopérations renforcées 5 pour doter la zone euro d’instruments d’intervention communautaires n’a jamais fait l’objet d’un véritable débat. D’aucuns affirment que l’Allemagne ne voulait pas d’une institution où elle aurait pu se retrouver en minorité. Ce n’est pas convaincant. Il est en effet difficile d’imaginer que, sur base de l’article 238 du traité 6, l’Allemagne aurait pu se retrouver isolée.

Certes, Angela Merkel a sa part de responsabilité. Son obsession de la « bonne gestion » cache aussi un manque de vision européenne. Mais la résistance première vient d’ailleurs. Elle nous vient de la France de Nicolas Sarkozy, d’abord pour les raisons viscérales que nous avons déjà évoquées mais aussi de par la crainte – injustifiée selon nous -, d’être contraint d’accepter des décisions contraires aux intérêts de la France. Elle se traduit par cette obsession de créer des mécanismes classiques de représentation et de droit de vote qui renvoient directement à la figure du conseil d’administration 7 et qui excluent toute approche démocratique et communautaire.

Pourquoi une coopération renforcée et non, comme le préconisent notamment les députés européens membres de la CIG 8, un scénario prévoyant l’intégration pure et simple, dans un délai de cinq ans, de ce nouveau traité dans le traité de Lisbonne ? Parce l’UE n’a que trop souffert de ces politiques qui doivent s’imposer à tous, en dehors de toute considération quant à la diversité des intérêts, des traditions, des agendas politiques de chacun des Etats membres de l’Union. L’Union souffre cruellement d’un manque de flexibilité. La crise qu’elle traverse aujourd’hui est avant tout une crise de la zone euro. C’est donc à ses 17 Etats membres qu’il appartient d’adopter des solutions sans que cela n’implique de mise à l’écart de l’un ou l’autre de ces Etats qui, pour une raison ou une autre, ont décidé de ne pas faire partie de la zone euro.

Quels moyens pour ce FME ?

  • les fonds déjà attribués au MSE
  • les fonds et les garanties attribués au Fonds de Stabilité Financière (FESF)
  • les revenus de la future taxe sur les transactions financières
  • la récupération des fonds additionnels octroyés par les Etats membres au FMI
  • un prêt de la BCE du type de celui qu’elle accorde actuellement aux banques

Dans un tel scénario, le FME et le pays en difficulté définiraient ensemble le plan des réformes à réaliser, le calendrier de leur mise en œuvre ainsi que l’entité des conversions de dettes et de prêts consentis. Ce plan serait ensuite soumis à la Commission européenne. Une fois un accord trouvé entre la Commission, le FME et le pays concerné, le plan serait soumis au Conseil des Ministres des Finances et au PE pour approbation.

Certes un tel mécanisme ne résoudrait pas tout, il permettrait néanmoins de desserrer l’étreinte de la dette publique sur les pays les plus exposés et, ce n’est pas peu, d’introduire un peu de transparence et de démocratie dans les indispensables procédures d’aide aux pays en crise. Mais il constituerait surtout une réponse vraiment européenne à la crise et, donc aussi, à la récente décision de Standard & Poor’s d’abaisser la note française qui constitue en premier lieu « un pesant vote de défiance à la construction européenne et à sa « gouvernance » (…) 9. Un type de « gouvernance » qui est cependant pour l’essentiel français ou, mieux, « sarkozien ». Il nous reste donc à attendre un printemps français et, pourquoi pas, espérer qu’entretemps les gouvernements allemand et italien fassent des propositions « communautaires ».

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Notes:

  1.  Cette CIG réunit 26 Etats membres de l’Union (la Grande-Bretagne y participe en tant qu’observateur) ainsi que des représentants de la Commission et de la BCE. La participation du PE a été obtenue in extremis, en dépit d’une très forte opposition de la France
  2.  Thèse que développe Claudia Biancotti « La crisi? Il mondo è cambiato, ce ne stiamo accorgendo », « La crise ? Le monde a changé, nous sommes en train de nous en rendre compte », Libertiamo.it, 15 décembre 2011
  3.  « Le Sommet de Bruxelles crée les conditions du rebond et la sortie de crise », interview de Nicolas Sarkozy, Le Monde, 13 décembre 2011
  4.  Mario Seminerio, « Monti spieghi alla Merkel che la paura tedesca puo’ portare al suicidio l’Europa », « Que Monti explique à Merkel que la peur de l’Allemagne peut amener l’Europe au suicide », Libertiamo.it, 9 janvier 2012
  5.  Article 20 § 1 « Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences exclusives de l’Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions des traités, dans les limites et selon les modalités prévues au présent article, ainsi qu’aux articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. (…) »
  6.   Article 238 du traité : « (…) lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72 % du Conseil, représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population. »
  7. La décision d’augmenter les contributions des Etats membres au FMI relève de cette même logique
  8.  Philippe Ricard, « Le Parlement européen s’organise pour peser sur la négociation du traité à vingt-six », Le Monde, 30 décembre 2012
  9.  Mario Seminerio, “Standard & Poor’s ha bocciato l’Europa, non l’Italia e la Spagna”, “Standard & Poor’s a sanctionné l’Europe, et non l’Italie et l’Espagne.”, Libertiamo.it, 16 janvier 2012

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