La Libre Belgique, le 12 février 2011, supplément Libre Entreprise. Opinion
Les timides signes d’embellie économique ne doivent pas nous tromper. La crise n’est pas encore derrière nous. L’Espagne et surtout le Portugal continuent à faire les choux gras des agences de notations. Les marchés estiment la Grèce insolvable à terme, rappelant par là, sans bien sûr le dire, que les taux pratiqués à l’égard de ce pays s’apparentent à de l’usure moderne. 2011 et 2012 risquent donc de ne pas être de tout repos. Et quand bien même 2011 signerait-elle le début de la fin de la crise de ces quatre dernières années, l’Union européenne (et en particulier la zone euro) demeurerait structurellement fragile. Difficile en effet de considérer les réformes réalisées pour importantes qu’elles soient, comme suffisantes, en ce compris l’institution du Fonds Européen de Stabilité Financière qui n’est guère qu’une extension à 16 pays de mécanismes de garanties déjà pratiqués par deux ou trois pays à la fois.
En dépit donc d’avancées certaines opérées au coup par coup au cours de ces deux dernières années, la question des règles, des instruments et des institutions indispensables au fonctionnement de l’Union économique et monétaire est loin d’être épuisée.
L’Union Européenne doit-elle, par exemple, accepter pour argent comptant l’argument d’autorité avancé par Dominique Strauss-Kahn (« il existe déjà un FMI ») et renoncer à la création d’un Fonds Monétaire Européen ? Faut-il accepter, sans sourciller, l’idée saugrenue de la suspension du droit de vote des pays coupables de ne pas avoir respecté les critères de convergence ? A fortiori quand on a l’esprit les pratiques des gouvernements allemand et français du début des années 2000. Peut-on ou non considérer qu’une intervention d’un FME (ou d’une institution européenne équivalente) bien en amont du moment de déliquescence des finances publiques d’un Etat membre limiterait d’autant les conséquences négatives tant pour le pays en difficulté que pour les autres pays membres de l’Union monétaire ?
La liste n’est évidemment pas exhaustive. On peut donc parier sans risque que les institutions de l’UE dont la Banque Centrale auront fort à faire au cours des prochaines années. Elles devront gérer une Europe où les pressions inflationnistes seront de retour, guider la poursuite de la réforme du secteur bancaire, créer de nouveaux instruments économiques et monétaires (obligations européennes, …), affronter (et résoudre) la question de l’insoutenable légèreté du budget de l’UE, venir en aide aux Etats-membres qui continueront à être confrontés avec des réformes de leur secteur public aussi difficiles qu’indispensables.
Parmi ces institutions européennes, le rôle de la BCE restera central. Sous la présidence d’un Jean-Claude Trichet qui n’a pas démérité, elle a réussi à garder le cap dans des tempêtes financières sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais penser, comme nous l’avons vu, que ces tempêtes sont définitivement derrière nous ou, plus grave encore, oublier que celles-ci ont mis en évidence l’extrême fragilité de l’édifice économique et monétaire européen, sa radicale incomplétude, serait suicidaire. L’heure n’est plus aux mesures à répétition destinées à calmer au coup par coup les marchés. Le sauvetage à long terme de l’Union européenne passe par son renforcement.
C’est avec cette priorité à l’esprit qu’il faut, me semble-t-il, que les Etats membres de la zone euro affrontent la question du choix du successeur de M. Trichet en juin prochain à la Présidence de la BCE. La Banque Centrale Européenne a besoin d’un président dont la maîtrise des affaires économiques et financières européennes est indiscutable. Certes. Mais elle a aussi besoin en cette période difficile d’un président éminemment politique, d’un président respecté, d’un président qui a l’appui des « petits » et des « grands » pays.
Un tel homme existe dans un pays, l’Allemagne, qui n’a guère l’habitude de valoriser ses grands formats. Wolfgang Schäuble, l’actuel ministre des finances de la République fédérale d’Allemagne, est un grand format. Longtemps ministre de l’intérieur de la République fédérale, il a été l’homme de la mise en œuvre de la réunification allemande. Militant de longue date de la construction européenne, il a été l’auteur en 1994, avec Karl Lamers, d’un projet visionnaire d’intégration européenne autour d’un noyau dur. Une personnalité que l’on aurait vu volontiers à la tête de la Commission européenne en ces années difficiles et à qui l’Europe serait, j’en suis convaincu, bien inspirée de confier la présidence de la BCE.