La Libre Belgique, le 7 mai 2010
Comment rétablir la confiance entre pays de la zone euro et affronter la question des traficotages des comptes par la Grèce (et d’autres)? Mettons en place des critères comptables communs et créons un corps européen de Réviseurs des Comptes chargé de vérifier chaque année la comptabilité des Etats membres.
Plus encore que la situation pourtant extrêmement grave de la Grèce, ce sont désormais les réactions – et les non réactions – de l’Union européenne et de ses pays membres qui ont de quoi susciter les pires inquiétudes. Un des derniers exemples en date, la réaction du Ministre belge des Finances, Didier Reynders. Pour qui il n’est nul besoin de créer un Fonds Monétaire européen. Tout au plus, selon lui, ce dont on aurait besoin serait de « disposer à l’avenir d’un mécanisme de décision plus collégial pour traiter ce genre de problème« . Sans autre détail. A le suivre, cette opération de sauvetage serait en fin de compte une bonne affaire pour la Belgique. On veut bien le croire. En empruntant à un taux de 3 ou 3,5 % sur les marchés et en prêtant à la Grèce à un taux 5 ou 5,5 %, la marge est bonne. La Belgique prêtant aux alentours d’un milliard d’euros, le « risque » pris devrait rapporter au Trésor belge de 15 à 20 millions d’euros l’an. Pas mal pour une opération Saint-Bernard ! Dans une telle optique, il ne reste au Ministre Reynders qu’à espérer que ce que l’on annonce se confirme. Que la Grèce doive emprunter à nouveau 30 milliards l’année prochaine, et 30 autres milliards l’année d’après.
Il est vrai que cet accord – laborieux – a eu des effets positifs. La Grèce n’empruntera plus à 7 ou à 7,5 % mais à ou 5,5 %. Et les marchés en ont d’ailleurs pris bonne note puisqu’ils ont déjà revu à la baisse leurs taux d’intérêts. Il reste néanmoins – comme le soulignent de nombreux observateurs et comme le savent pertinemment tous les ministres des Finances concernés – que même en empruntant à 3 % – ce qui serait un taux proche de ce que pourrait proposer un Fonds monétaire européen – la Grèce serait encore confrontée à d’énormes difficultés pour mener à bien sa politique d’assainissement.
Ce n’est pas tout. Derrière la Grèce en crise se profilent d’autres pays. Le Portugal, comme vient de le rappeler le Commissaire européen aux Affaires Economiques, Olli Rehn. Mais aussi l’Irlande et l’Espagne. Sauf si l’on considère ces crises potentielles comme autant d’opportunités qu’il faudra saisir pour réaliser d’intéressantes opérations d’emprunts et de prêts, on a là de bonnes raisons de craindre le pire. Ce qui dans un contexte économique anémié comme celui de l’Europe d’aujourd’hui, serait le pire du pire.
A moins que l’Union européenne et ses Etats-membres ne prennent cette crise pour ce qu’elle est. Le résultat d’une impossibilité : mener une politique monétaire européenne en l’absence d’une politique économique européenne. Exactement ce que le prix Nobel d’Economie, Milton Friedman, avait prévu.
Il ne s’agit évidemment pas de refaire ici l’histoire de la naissance de l’euro, ni, a fortiori, de reprocher aux pays de la zone euro de s’être lancés dans cette aventure. Seulement de tenter de tirer profit de cette crise structurelle pour apporter, au-delà de la réponse conjoncturelle à la question grecque, une réponse structurelle pour la zone euro.
En amont, il s’agit de rétablir la confiance, sérieusement entamée, entre les pays membres de la zone euro. Il faut, bien sûr, affronter la question des traficotages des comptes par la Grèce (et probablement par d’autres). Sans oublier cependant que cette situation était, pour une bonne part, connue des autres Etats-membres. Sans oublier, non plus, que ce sont deux grands Etats, l’Allemagne et la France, qui ont, les premiers, « suspendu » le respect des critères du Pacte de Stabilité. L’Allemagne qui, avec les Pays-Bas, se montre aujourd’hui la plus intransigeante sur le respect des règles et sur la nécessité de pénaliser ceux qui les ont enfreintes. Mais il y a pénaliser et pénaliser. Pénaliser au moyen d’amendes, comme cela était prévu à l’origine, s’apparente au bombardement d’une ambulance ou d’un corbillard. Inefficace. La vraie pénalité se trouve en aval. C’est, d’une part, la crise elle-même, avec son cortège de réformes douloureuses à mettre en oeuvre et, d’autre part, l’obligation de recourir à un mécanisme de garantie « supra-nationale » avec ce qu’il implique en termes de conditionnalité, voir de quasi mise sous « tutelle ».
D’un côté, il s’agirait de mettre en place, sous l’égide de la Cour des Comptes européenne (institutionnellement plus légitime qu’Eurostat), avec le concours des Cours des Comptes des pays membres de la zone euro des critères comptables communs et de créer, toujours dans le cadre de la Cour des Comptes, un corps européen de Réviseurs des Comptes chargé de vérifier et de viser, chaque année, la comptabilité des Etats membres. Mesures qui n’auraient pas d’impact budgétaire significatif. De l’autre côté, il s’agirait de donner suite à la proposition de Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des Finances, de créer un Fonds Monétaire Européen, auprès duquel les Etats en difficulté pourraient emprunter à des taux non-prohibitifs, à la condition d’avoir établi, avec ce FME, une stratégie de sortie de crise. Une manière aussi de prendre en compte les préoccupations des Allemands qui, s’ils n’ont pas toutes les bonnes raisons de leur côté, en ont, néanmoins, quelques-unes et pas des moindres. Une manière enfin, de régler en « famille européenne » une question européenne et de poser, par la même occasion, une pierre supplémentaire à l’édification du gouvernement économique européen que beaucoup appellent de leurs voeux.
Aux Cassandres de tout bord qui arguent que c’est impossible car il faudrait réformer les traités, les Parlements nationaux des Etats membres de la zone euro pourraient répondre en créant une procédure d’urgence de ratification. Belle et concrète manière de montrer qu’ils peuvent jouer un rôle crucial dans les affaires européennes.
Et, pour les citoyens qui peuvent se le permettre, pourquoi ne pas penser à des vacances en Grèce ou au Portugal ?
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